Par Adam Ayari – Investigation
La chambre criminelle spécialisée dans les affaires de corruption financière auprès du tribunal de première instance de Tunis a condamné Abderraouf Bouchoucha, ancien président de l’Association d’amitié des greffiers, à dix ans de prison ferme, dans le cadre d’un dossier de blanchiment d’argent qualifié de « lourd » par les enquêteurs.
La même chambre a également condamné la vice-présidente de l’association, actuellement en fuite, à neuf ans de prison, et quatre autres membres à deux ans de prison avec sursis. Par ailleurs, le juge d’instruction en charge du dossier a ordonné le gel des avoirs de l’association à titre conservatoire.
Après plus de 18 mois d’investigations, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Tunis a décidé de renvoyer Abderraouf Bouchoucha, greffier dans un tribunal du Grand Tunis, ainsi que cinq autres personnes, devant la chambre criminelle compétente. Les accusés font face à de graves chefs d’accusation, parmi lesquels blanchiment d’argent, abus de fonction à des fins personnelles, et exercice illégal d’activités bancaires, sur la base des articles 32, 82, 96, 97 et 98 du Code pénal, et des articles 92 à 97 de la loi organique n°26 de 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.
Les éléments de l’enquête ont mis en évidence des signes de richesse inexpliquée au sein de la famille Bouchoucha, notamment l’acquisition d’un appartement de luxe à Doha et plus de dix voyages vers l’Europe et les pays du Golfe rien qu’en 2022, souvent accompagnés de membres de sa famille.
Selon les pièces du dossier, Bouchoucha aurait utilisé l’association comme couverture pour blanchir d’importantes sommes d’argent. Il a nié tous les faits, affirmant ne tirer aucun avantage personnel de la gestion de l’association ni des opérations de prêts accordés aux adhérents. Concernant la société immobilière appartenant à son épouse, il a affirmé qu’elle en est la seule fondatrice et gérante, réfutant l’existence de transferts de fonds en sa faveur.
Son épouse, interrogée, a déclaré avoir fondé la société en 2021 avant de démissionner de ses fonctions. Elle a précisé avoir un niveau scolaire équivalent à la quatrième année secondaire, avec une formation en comptabilité, et avoir transféré 410 000 dinars sur les comptes de membres de sa famille. Selon elle, son solde bancaire s’élevait à 5,6 millions de dinars. Elle a également reconnu un virement de 200 000 dinars à une co-accusée, affirmant qu’il s’agissait de bénéfices de l’activité de la société. La différence entre le prix d’achat des terrains et les revenus sur les comptes serait, selon elle, issue de la revente de lots résidentiels.
Le père de l’accusé principal, troisième inculpé dans l’affaire, a déclaré avoir accepté d’être désigné comme représentant de la société, tout en affirmant ne s’être jamais impliqué dans la gestion. Il a un niveau scolaire de troisième année primaire et a nié toute connaissance d’un virement de 400 000 dinars sur son compte personnel.
De son côté, la fille de Bouchoucha a reconnu que des fonds avaient été déposés sur son compte bancaire, expliquant qu’il s’agissait de dividendes de la société de sa mère, dans laquelle elle détient également des parts.
Enfin, le comptable de la société immobilière a nié toute responsabilité, affirmant avoir été mandaté uniquement pour vérifier les comptes des années 2021 et 2022. Il a précisé que la société avait généré des bénéfices à travers des commissions d’intermédiation immobilière, tout en niant tout lien avec les comptes de l’année 2023.
Malgré les dénégations répétées de Bouchoucha, l’enquête a révélé un système complexe impliquant des membres de sa famille et des circuits financiers opaques, confirmant l’usage d’une association professionnelle comme façade pour des opérations illégales de grande ampleur — une affaire qui marque un tournant dans la lutte contre la corruption dans les milieux judiciaires tunisiens.