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Tunisie : Ennahdha et l’envoi de djihadistes en Syrie et en Irak, un procès révélateur des liens politiques et terroristes

  • Photo du rédacteur: Maghreb Investigation
    Maghreb Investigation
  • 27 mars
  • 4 min de lecture
Ennahdha face à la justice pour son implication présumée dans l’envoi de jihadistes en Syrie et en Irak.
Ennahdha face à la justice pour son implication présumée dans l’envoi de jihadistes en Syrie et en Irak.

Auteur : Adam AYARI


Le 25 mars 2025, le tribunal tunisien a ouvert la deuxième audience d’un procès qui secoue le pays depuis plusieurs années : l’envoi de jeunes Tunisiens en Syrie et en Irak, entre 2011 et 2014, pour rejoindre les rangs des groupes djihadistes. Parmi les figures emblématiques de cette affaire, l’ancien Premier ministre et ministre de l’Intérieur Ali Larrayedh, secrétaire général du parti islamiste Ennahdha, se retrouve dans le viseur des autorités.


Le procès n’est pas seulement un examen des faits, mais aussi un éclairage sur une période politique trouble pour la Tunisie, après la révolution de 2011. La montée de l’extrémisme islamiste en Syrie et en Irak a alimenté de nombreuses interrogations sur les relations de l’élite politique tunisienne avec ces groupes. Larrayedh, membre influent d’Ennahdha, est accusé de complicité passive dans l’envoi de milliers de jeunes combattants vers ces zones de guerre.


Ennahdha, un parti aux liens complexes avec l’islamisme radical


L’affaire fait référence à un contexte plus large, celui de l’ascension du parti Ennahdha, qui a joué un rôle majeur dans la transition démocratique de la Tunisie. Cependant, la question demeure : quelle a été la véritable position d’Ennahdha, particulièrement de ses hauts responsables, face à l’extrémisme qui a secoué le pays à partir de 2011 ? Ennahdha, bien qu’ayant toujours nié tout lien direct avec le terrorisme, a été critiquée pour ses liens historiques avec les mouvances islamistes, notamment avec le groupe GIA (Groupe Islamique Armé). Anciennement appelé “الإخوان GIA”, ce groupe se traduisait par “les frères du Groupe Islamique Armé”, une organisation terroriste active dans les années 1990, et considérée comme l’un des précurseurs du djihadisme moderne en Afrique du Nord. Cette relation historique entre certains membres d’Ennahdha et le GIA a été un sujet de spéculations et de tensions politiques.


Ali Larrayedh et les accusations de laxisme


Ali Larrayedh, ministre de l’Intérieur de 2011 à 2013 et chef du gouvernement en 2013-2014, est aujourd’hui incarcéré après avoir été accusé de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher l’envoi de jeunes Tunisiens dans les zones de conflit. Pendant cette période, les départs vers la Syrie et l’Irak se sont intensifiés, avec de nombreux jeunes Tunisiens radicalisés, souvent issus de milieux fragilisés, attirés par l’idéologie de l’État islamique (EI). Ces départs ont profondément marqué l’opinion publique tunisienne, alimentant la peur d’une radicalisation de masse et d’une coopération, à un niveau ou à un autre, entre certains membres du gouvernement tunisien et des réseaux djihadistes.


Larrayedh est accusé de “laxisme” et “d’inaction” face à cette vague de départs, au moment où le pays était en pleine reconstruction politique et sociale après la chute du régime de Ben Ali. Cependant, ses défenseurs soulignent que l’absence de preuves matérielles concrètes rend difficile l’imputabilité d’une telle accusation. “Ce n’est pas le procès d’Ennahdha, mais celui des politiques mises en œuvre par le parti au moment où il était au pouvoir”, explique Samir Dilou, avocat d’Ali Larrayedh.


Ansar Al Charia : la mouvance salafiste et ses liens avec Ennahdha


Les accusés dans cette affaire sont nombreux, dont trois membres de la mouvance salafiste Ansar Al Charia, un groupe extrémiste dissous en Tunisie. Ce groupe est particulièrement controversé en raison de son implication dans des actes de violence et de sa proximité avec des idéologies djihadistes. Leurs liens avec le pouvoir tunisien, notamment durant la période où Ennahdha dominait la politique, alimentent encore davantage les suspicions sur les complicités au sein des élites tunisiennes.


Les défenseurs d’Ennahdha affirment que leur politique n’a jamais été d’encourager le terrorisme, mais plutôt de maintenir un équilibre entre l’islamisme modéré et la stabilité politique dans un pays en pleine transition. Néanmoins, des rapports d’enquête font état de financements suspects et de négligence dans la surveillance des flux vers les zones de combat. La question demeure : jusqu’à quel point certains membres d’Ennahdha ont-ils sciemment permis ou ignoré les départs de combattants djihadistes ?


Le procès et ses enjeux


Ce procès, qui s’est poursuivi avec un report au 22 avril prochain, pourrait marquer un tournant dans la manière dont la Tunisie traite son passé récent et ses liens avec l’islamisme radical. Si les preuves matérielles venaient à faire défaut, le gouvernement tunisien pourrait se retrouver dans une position délicate, vu la pression croissante pour responsabiliser les autorités qui ont gouverné pendant la période la plus volatile de la transition post-révolutionnaire.


Les enjeux du procès vont bien au-delà de la seule responsabilité pénale d’Ali Larrayedh. Il s’agit de faire toute la lumière sur une période marquée par une montée en puissance du djihadisme, tout en scrutant les liens entre les partis politiques et les groupes extrémistes qui ont prospéré dans le sillage des révolutions arabes.


Les témoins et experts qui seront appelés lors des prochaines audiences devraient permettre de mieux comprendre les implications de cette période. Un procès dans lequel, au-delà des individus, c’est toute une époque de l’histoire tunisienne qui est jugée.

 
 
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