Le 2 décembre 2025, l’Assemblée des représentants du peuple a adopté la loi de finances 2026 sans réintégrer l’article 25, supprimé quelques jours plus tôt par la Commission des finances. Cet article prévoyait un soutien financier aux radios associatives tunisiennes. Derrière cette décision technique se cache une crise politique et démocratique : celle de la disparition programmée d’un pan entier de l’information de proximité.
Une suppression budgétaire lourde de conséquences
L’article rejeté proposait d’allouer une enveloppe de 1,5 million de dinars pour couvrir les frais de diffusion des radios associatives auprès de l’Office national de la télédiffusion (ONT), et d’apurer une partie de leurs dettes cumulées. Selon les données de la HAICA, ces dettes s’élèveraient à plus de 800 000 dinars pour l’ensemble du secteur.
En 2025, la Tunisie comptait 38 radios associatives, dont 27 en activité régulière. Parmi elles, plus de 70 % déclarent ne pas pouvoir assurer leur fonctionnement au-delà de six mois sans soutien public ou international.
Un rôle démocratique irremplaçable
Depuis 2011, les radios associatives ont permis l’émergence d’un journalisme de terrain, ancré dans les régions marginalisées. Elles couvrent des zones rurales, des quartiers populaires, des communautés amazighes ou migrantes, souvent absentes des radars des médias nationaux.
Elles sont aussi des incubateurs de talents : selon une étude de l’Observatoire de la diversité médiatique, près de 40 % des jeunes journalistes issus des régions ont fait leurs premières armes dans ces structures.
Deux poids, deux mesures
Alors que les radios associatives sont privées de soutien, la loi de finances 2026 maintient des avantages fiscaux pour les médias commerciaux. Les chaînes privées bénéficient d’une réduction de 40 % sur leurs frais de diffusion, soit une économie estimée à 4,2 millions de dinars pour les cinq principaux groupes audiovisuels.
Cette asymétrie interroge : pourquoi l’État choisit-il de soutenir les médias à but lucratif, souvent concentrés dans la capitale, tout en laissant mourir les voix locales et citoyennes ?
Une liberté d’expression sous tension
La Tunisie a perdu 12 places dans le classement mondial de la liberté de la presse 2025 de Reporters sans frontières, se classant désormais 121e sur 180. Cette chute s’explique par la multiplication des poursuites contre les journalistes, la fermeture de médias critiques, et la pression croissante sur les organes indépendants.
La disparition des radios associatives accentuerait cette tendance, en réduisant encore les espaces d’expression libre, notamment dans les régions.
Et maintenant ?
Plusieurs collectifs, dont le Réseau des Radios Associatives Tunisiennes (RRAT), appellent à une mobilisation urgente. Ils réclament :
- La réintégration du soutien dans la loi de finances rectificative.
- La création d’un fonds public indépendant pour les médias communautaires.
- Une réforme du cadre juridique pour garantir leur reconnaissance et leur pérennité.
Une question de choix politique
Ce n’est pas un simple arbitrage budgétaire. C’est un choix de société. En supprimant ce soutien, l’État tunisien tourne le dos à une décennie d’expérimentation démocratique locale. Il affaiblit la pluralité, la participation citoyenne, et la capacité des territoires à se raconter eux-mêmes.
L’avenir de la liberté de la presse ne se joue pas seulement dans les grandes rédactions. Il se joue aussi dans les studios précaires de Gafsa, de Kasserine ou de Jendouba.